Désinflation et autres lieux communs

Toutes les catégories d’actifs ont connu l’agitation du dernier trimestre de 2022. Plus précisément, les participants du marché ont d’abord été encouragés par des résultats trimestriels généralement au-delà des attentes aux États-Unis, par des signes de décélération de l’inflation et par la résilience du marché du travail. Ainsi, les principales places boursières ont bondi de plus de 10 % entre le 1er octobre et le 30 novembre 2022. Cependant, ce sentiment a changé lorsque le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a réitéré qu’il était prématuré d’envisager le ralentissement du rythme des hausses de taux d’intérêt et que de nouvelles mesures de confinement liées à la COVID avaient été émises en Chine. Les deux manchettes ont été considérées comme pouvant nuire aux chances d’une reprise de croissance, ce qui a conduit les marchés boursiers à effacer une partie de leurs gains à la fin du trimestre. En fin de compte, le MSCI All Countries World Index[1], le S&P 500 Index et le S&P TSX Composite Index ont progressé de 7,36 %, 7,42 % et 5,96 %, respectivement, au cours du trimestre. Néanmoins, cette performance laisse un goût amer étant donné que les mêmes indices ont terminé l’année 2022 avec des baisses de -15,98 %, -18,51 % et -5,84 %, respectivement, leur pire depuis 2008.

D’un point de vue stylistique, les titres de valeur ont surpassé les titres de croissance, un écart de plus de 10 % au cours du trimestre et de près de 25 % pour l’année; c’est le bouleversement d’un paradigme qui aura marqué les 10 années précédentes. Ce surpassement est une conséquence de la performance du secteur de l’énergie qui est fortement représenté dans les indices de valeur, alors que les secteurs des biens de consommation cyclique et de la technologie sont plutôt liés aux indices de croissance. Par ailleurs, le secteur de l’énergie est celui s’étant le plus apprécié au cours du trimestre, car la perspective d’une pénurie de gaz naturel imminente en Europe occidentale aiderait les producteurs de pétrole et les raffineurs à préserver leurs marges malgré le ralentissement de l’économie mondiale. En revanche, les secteurs des technologies de l’information et de la consommation discrétionnaire ont été à la traine, car les fêtes de fin d’année représentent maintenant une période incertaine pour les détaillants et les constructeurs automobiles.

La reprise des titres à revenu fixe a été moins marquante; les participants du marché tentaient de concilier l’évolution de l’inflation avec l’évolution de la croissance tout en étant peu rassurés par les indications prospectives données par les banques centrales. La quasi-absence d’émissions et de défauts d’obligations d’entreprises a aidé le marché du haut rendement à enregistrer la meilleure performance avec un bond de 5,03 % au cours du trimestre (ICE Bank of America Global High Yield Index), devant le gain de 3,22 % des obligations corporatives ICE Bank of America Global Corporate Index). Les banques centrales ont maintenu leur politique de resserrement. Conséquemment les obligations gouvernementales ont moins bien performé en raison de leur sensibilité aux taux d’intérêt. D’ailleurs, le ICE Bank of America Global Government Bond Index a enregistré une perte de -0,31 % au cours du trimestre. Alors que les taux d’intérêt à court terme montaient sans cesse, les instruments de revenu fixe à taux variable, dont le taux de paiement du coupon augmente avec la hausse des taux d’intérêt, ont généralement mieux performé au cours d’une année plutôt difficile. Le ICE Bank of America Floating Rate Treasury Index a augmenté de 1,01 % au quatrième trimestre et de 2,08 % pour l’année 2022.

Bien que la dette à taux variable ait affiché un rendement positif modeste, les instruments à courte durée, quant à eux, ont enregistré des pertes moyennes limitées. Même si la plupart des marchés à revenu fixe ont connu une bonne performance au cours du dernier trimestre de l’année, pratiquement toutes leurs stratégies ont enregistré des pertes de -10 % à -15 %. La dernière fois qu’un rendement aussi médiocre avait été observé dans ce qui est généralement perçu comme une catégorie d’actifs défensifs, Pierre Elliot Trudeau était premier ministre du Canada et René Lévesque son homologue du Québec.

Le marché des matières premières, comme représenté par S&P GSCI Commodities Index, a connu une hausse de 3,44 % durant le trimestre et a terminé l’année avec un rendement de 25,98 %. L’observation des différentes composantes révèle une image mitigée; les groupes des métaux affichent de solides gains tandis que le secteur de l’énergie et le secteur agricole sont demeurés stables au cours du trimestre.

CRYPTO : LE DERNIER SURVIVANT

Depuis sa création, il y a un peu plus de dix ans, l’industrie des actifs numériques[2] a attiré de nombreux entrepreneurs. Malheureusement, ils n’étaient pas tous bienveillants et structurés. Dès le départ, l’échec de Mt.Gox[3] en 2014 a démontré que l’industrie tend inhabituellement vers la fraude, le détournement de fonds, le vol et la mauvaise gestion. Il y a même eu de mystérieuses disparitions qui demeurent non résolues à ce jour. La résilience de cette industrie a été mise à l’épreuve à plusieurs reprises. Bien qu’elle ait survécu, elle a réalisé qu’elle devait s’améliorer pour se tailler une place dans les marchés financiers et gagner l’approbation des investisseurs institutionnels.

Puis est arrivé Sam Bankman Fried (« SBF »), diplômé de la Massachusetts Institute of Technology (« MIT »), fils de deux professeurs de la Stanford Law School et adepte du mouvement pour un altruisme efficace de William McCaskill[4]. Il avait tout d’un prophète proréglementation en invitant activement la Securities and Exchange Commission (« SEC ») à faire un examen minutieux de l’industrie. Les manières inhabituelles de SBF lui conféraient un air d’authenticité. À peine deux ans après avoir fondé FTX, l’ancien trader de Jane Street[5], âgé de 30 ans, était devenu le « bon gars » de la crypto, un rôle aux avantages multiples dont ceux d’être appuyé par des célébrités telles que Stephen Curry des Golden State Warriors, Kevin O’Leary (également connu sous le nom de Mr. Wonderful) de Shark Tank et le couple puissant de l’époque Tom Brady et Gisele Bundchen. SBF a utilisé les sommes amassées lors de divers cycles de financement de FTX pour acheter les droits d’affichage du stade du Miami Heat en Floride et est devenu l’un des 10 plus grands donateurs individuels à la campagne présidentielle des É.-U. en 2022[6]. SBF a tout mis en œuvre pour que les cryptospéculateurs fassent d’abord et avant tout confiance à FTX.

Cependant, au début novembre 2022, FTX a implosé et déclaré faillite, puis SBF a démissionné de son poste de PDG. Quelques mois auparavant, FTX était évaluée à 32 milliards de dollars US. Selon le témoignage de John J. Ray III[7], FTX pourrait être la plus grande fraude corporative depuis Enron. Pourtant, invraisemblablement, SBF semblait en voie de démarrer une tournée médiatique en participant à une longue conversation avec le New York Times et divers podcasts précédant sa convocation devant le tribunal fédéral de Manhattan quelques jours plus tard avant d’être libéré moyennant une caution de 250 millions. Si vous avez le moindre doute sur la gravité des accusations, sachez que la caution de Bernie Madoff n’était que de 10 millions.

Avec le recul, il y avait des signaux d’alarme partout. Premièrement, FTX et ses filiales engageaient des personnes inexpérimentées et non qualifiées pour exercer des rôles clés. Certains avaient des antécédents douteux facilement vérifiables. Cela aurait pu être acceptable pour une petite compagnie, mais pas pour une entreprise évaluée à 32 milliards de dollars desservant plus d’un million de clients. Deuxièmement, il peut s’avérer que SBF entretenait une relation amoureuse avec un autre cadre de FTX. Troisièmement, les systèmes utilisés pour la comptabilité et la régie interne étaient inacceptables pour une entreprise de cette envergure. Quatrièmement, la présence de conflits dus aux transactions de FTX avec sa filiale Alameda et les entreprises ayant précédemment participé aux levées de fonds de FTX ainsi que les prêts accordés aux employés étaient également problématiques.

La question se pose : si tant de personnes brillantes et bien informées ont échoué leurs vérifications diligentes de FTX et de SBF, comment aurions-nous pu éviter de tomber dans le piège?

La triste réalité est que pour beaucoup de gens, le concept de vérification diligente consiste à s’asseoir pendant quelques heures, sans s’être préparé au préalable, pour écouter un argumentaire de vente de haut niveau faisant suite à un simple démarchage téléphonique ayant eu lieu quelques semaines plus tôt. Dans les faits, une vérification diligente s’apparente à une investigation policière. L’investigateur cherche les signes qui pourraient invalider l’histoire qui lui est racontée. Un bon exemple, selon moi, est le personnage de l’inspecteur Columbo, incarné par Peter Falk sur les ondes de NBC dans les années 70. Columbo avait une phrase fétiche qui ennuyait les suspects: « encore une chose! ». Parfois, les suspects se rendaient ou s’incriminaient involontairement. C’était ça le but. L’approche devrait être conçue pour repérer les incohérences, les contradictions, ainsi que recueillir l’information manquante avant que le suspect ne quitte le banc des accusés. Cela signifie parfois être persistant au point d’être agaçant, mais c’est ce qu’il faut pour éviter de payer le prix de s’être trompé. D’une certaine manière, celui qui exécute bien sa vérification diligente est l’inspecteur Columbo du monde financier.

Bitcoin a perdu environ deux tiers de sa valeur en 2022. De nombreux spéculateurs misant sur de faibles coûts d’emprunt pour établir des positions ont disparu. Certains caractérisaient SBF comme le dernier survivant. Maintenant que ce puissant prophète est tombé, il reste à savoir si quelqu’un se tiendra debout à la fin ou si l’industrie des actifs numériques est si corrompue qu’elle est vouée à l’insignifiance ou la disparition.

ESG EN REDÉMARRAGE

Il y a quelques années, j’avais fait part de mes soucis quant aux stratégies d’investissement qui appliquent les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (« ESG ») dans le processus de sélection des actions[8]. J’abordais le fait que leur performance était attribuable à leur exposition accidentelle à d’autres facteurs plutôt qu’aux mesures ESG utilisées et qu’elle s’apparentait à celle des stratégies axées sur les titres de croissance de grande capitalisation. Ces affirmations ont été confirmées par tous nos gestionnaires qui emploient des méthodes quantitatives pour sélectionner les titres. En effet, ces derniers n’arrivent pas à discerner des critères de sélection ESG distincts dont les résultats sont différents des filtres traditionnels déjà existants. J’avais aussi souligné qu’il était possible pour un émetteur de se retrouver dans un portefeuille d’actions ESG même si ce dernier avait une cote faible sur un ou deux des trois piliers tant que sa cote au troisième dépasse la moyenne du marché ou de l’industrie. Ce qui signifie que les investisseurs emballés par le concept ESG pourraient être victimes de certaines incohérences.

J’avais donc des soucis, disons, philosophiques. Or, ceux qui investissent dans les stratégies ESG se sont retrouvés avec plus que de simples préoccupations philosophiques à résoudre. Tout d’abord, la performance de la majorité des stratégies ESG s’est avérée décevante par rapport aux principaux indices depuis le troisième trimestre 2021. Tel que je l’avais prédit, elle s’est alignée quelque peu avec celle des stratégies qui mettent l’accent sur les grandes capitalisations à saveur croissance. Celles qui excluaient d’emblée le secteur des énergies fossiles se sont encore moins bien comportées. Puis, comme l’avait promis le président de la SEC, Gary Ginsler, après sa nomination en 2021, son équipe a accordé une attention particulière aux informations fournies par les firmes d’investissement lorsqu’ils tiennent compte des facteurs ESG dans leur processus décisionnel. À la suite de ces enquêtes à la fin novembre, la SEC a inculpé une filiale de Goldman Sachs pour non-respect de ses politiques et procédures impliquant deux fonds communs de placement et une stratégie déployée dans un compte ségrégué, tous étant commercialisés comme respectant certains critères ESG prescrits. Pour régler les accusations, Goldman Sachs a accepté de payer une amende de 4 millions de dollars. Apparemment, Goldman Sachs avait mis en place un processus formel de sélection des investissements avec des mesures ESG, mais le processus n’était pas systématiquement suivi. Naturellement, les investisseurs se demandent si l’étiquette ESG sur un produit d’investissement est quelque chose de concret ou simplement un stratagème de commercialisation conçu pour leur soutirer plus de frais pour un service à valeur ajoutée. En outre, les concepts ESG ont été critiqués par des législateurs américains à la fin de l’été. Le gouverneur Rick DeSantis a demandé au Sénat de l’État de la Floride d’adopter une résolution exigeant que le fonds de pension de l’État investisse dans des entreprises qui ne tiennent compte que des « facteurs pécuniaires » et « n’incluent pas la promotion d’intérêts sociaux, politiques ou idéologiques ». Cela restreint l’investissement de l’État dans tout fonds de gestion d’actifs qui appliquent les critères ESG dans son processus d’investissement. Le Texas a adopté une approche similaire en votant deux projets de loi distincts qui interdisent à l’État de conclure des contrats avec des organisations ESG qui boycottent l’industrie des combustibles fossiles ou des armes à feu. Peu de temps après l’adoption des projets de loi, le contrôleur de l’État a même publié une liste complète des organisations boycottées. Au moment d’écrire ces lignes, de nombreux autres États envisagent une législation similaire. Blackrock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, avec un peu moins de 9 000 milliards d’actifs au 30 septembre 2022 et qui est reconnu pour ses références ESG, a été le gestionnaire le plus souvent cité par les législateurs dans leur justification.

Je ne crois pas que ces efforts freineront la croissance des ESG. Au contraire, ce sont des étapes pénibles, mais nécessaires pour que la divulgation liée aux critères ESG soit normalisée à l’échelle mondiale et pour que les mandats deviennent plus spécialisés et moins sujets à des contradictions internes. Toutefois, ce contrecoup pourrait inciter certaines firmes de gestion d’actifs à revenir sur leur programme ESG pour contourner le risque de désinvestissement de certains groupes à motivation politique ou pour éviter de perdre leur part future d’un gâteau grandissant.

QUELQUES MOTS SUR L’OBÉSITÉ, ALZHEIMER ET LA PHYSIQUE PURE ET DURE

Nous tournons la page d’une année sombre qui a apporté une série de développements géopolitiques et macroéconomiques néfastes, ainsi j’ai pensé qu’il valait la peine de discuter de quelques-uns des développements positifs qui ont attiré mon attention.

Le premier que j’aimerais aborder est la décision de la FDA (U.S. Food and Drug Administration / Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux) d’émettre la désignation « accélérée » à la molécule tirzepatide d’Eli Lilly and Co. pour le traitement de l’obésité ou du surpoids avec comorbidités chez les adultes[9]. Le médicament pourrait être approuvé pour le traitement de l’obésité d’ici la mi-2023. La molécule, qui avait été approuvée plus tôt en 2022 pour le traitement du diabète de type II par la FDA et vendue sous le nom de Mounjaro™, a réussi un récent essai clinique de phase III en procurant de bien meilleurs résultats que ceux de Wegogy et Saxenda, les médicaments phares précédemment approuvés pour le traitement de l’obésité. Cette maladie est connue pour favoriser le développement d’autres affections telles que le diabète de type II ou les maladies cardiovasculaires. Cela entraîne et complique le traitement d’autres maladies comme le cancer et, comme on l’a vu avec la pandémie, des maladies respiratoires. Ainsi, non seulement l’obésité augmente le risque de décès, elle contribue indirectement à réduire considérablement l’espérance de vie des patients. L’obésité pèse lourdement sur les finances publiques et représente près de 200 milliards de dollars par an en coûts directs et indirects aux États-Unis seulement[10]. Ainsi, les analystes de Wall Street estiment que les ventes annuelles de tirzepatide pour le traitement de l’obésité pourraient dépasser les 25 milliards[11], ce qui détrônerait Humira, le médicament contre l’arthrite d’AbbVie, l’actuel détenteur du record (à l’exclusion du vaccin à ARNm de Pfizer/BioNtech contre la COVID-19).

Le deuxième développement positif provient également du secteur médical. Cette fois, il est lié au traitement de la maladie d’Alzheimer, qui échappe à la science depuis trois décennies. En juin 2021, la FDA a approuvé l’aducanumab, un médicament développé par Biogen et vendu sous le nom d’Aduhelm™ pour le traitement de certains cas de la maladie d’Alzheimer. En raison des risques d’effets secondaires importants, notamment enflure et hémorragie cérébrale, en plus d’allégations d’interactions inappropriées entre les responsables de la FDA et l’équipe scientifique de Biogen au cours du processus d’approbation, Aduhelm™ n’a pas été largement prescrit, au grand désespoir de la communauté Alzheimer tristement habituée aux faux espoirs et aux controverses. Heureusement, un autre médicament contre la maladie d’Alzheimer, le lecanemab, développé par le groupe pharmaceutique japonais Eisai (en partenariat avec Biogen), s’est montré prometteur. Il a été démontré que le médicament, qui devrait être disponible dès janvier 2023 sous le nom de Leqembi™, ralentit le déclin cognitif de 27 % chez les patients présentant des troubles cognitifs légers à un stade précoce.

Ceci ne se veut pas une recommandation d’acheter les actions d’Eli Lilly, Eisai ou Biogen. Au contraire, les développements positifs associés à ces thérapies se reflètent déjà probablement dans le prix. Le but de cette discussion est de mettre en évidence les progrès réalisés dans le domaine de la pharmacologie, qui contribueront à terme à améliorer la longévité et la qualité de vie des personnes souffrant de maladies dévastatrices et pour lesquelles il n’existait aucun traitement reconnu il y a à peine 18 mois.

Le troisième développement positif a eu lieu au Lawrence Livermore National Facility le 5 décembre 2022, lorsqu’une équipe de physiciens a réussi à produire plus d’énergie à partir de la fusion d’atomes que l’énergie laser utilisée dans le processus. Il s’agissait de la première expérience de fusion contrôlée à franchir cette étape et du premier véritable pas vers le développement d’une source d’énergie potentiellement illimitée et respectueuse de l’environnement.

Le concept de fusion nucléaire a été théorisé au début des années 1930[12] lorsque les scientifiques ont réalisé que c’était ainsi que le soleil s’alimentait. C’est un processus par lequel les faisceaux laser délivrent une grande quantité d’énergie ultraviolette dans une capsule de combustible qui contient des atomes (généralement des isotopes d’hydrogène comme le protium, le deutérium et le tritium) que le laser fusionne tout en libérant de l’énergie. Les principaux avantages de la fusion nucléaire par rapport à la fission nucléaire comprennent la réduction de la radioactivité et des déchets, l’abondance de l’approvisionnement en combustible (isotopes de l’hydrogène) et la sécurité. Cela dit, des défis considérables doivent encore être relevés. Par exemple, la chaleur nécessaire pour produire la réaction atomique est supérieure à 100 millions de degrés. Cela doit être contenu! En tant que tel, dans le meilleur des cas, la technologie est probablement encore à des décennies de voir le jour. Pour cette raison, il est trop tôt d’envisager d’investir dans le prochain SPAC (Special Purpose Acquisition Company / société d’acquisition à vocation spécifique) qui aura le mot « fusion nucléaire » dans son plan d’affaires. Néanmoins, compte tenu de l’urgence déclenchée par l’accélération des changements climatiques, cela pourrait être une source logique de recherche financée à grande échelle par le gouvernement pour les années à venir, un équivalent moderne du projet Manhattan ou de la course à la lune.

RÉGLAGE DES PORTEFEUILLES POUR 2023

Je crois que l’année 2023 obligera les professionnels de la gestion de placements à procéder à divers ajustements dans leur programme. En effet, pour la première fois depuis la grande crise financière (Global Financial Crisis – « GFC ») de 2008, la politique monétaire ultra accommodante est moins susceptible de venir au secours des actifs risqués lors de fortes baisses. Comme je l’ai déjà mentionné, les banques centrales du monde occidental, par leurs actions concertées, ont été les principaux contributeurs de l’agrandissement de l’écart des actifs financiers entre leur prix et leur valeur intrinsèque, et de la réduction de la volatilité. Bien que je m’attende pleinement à ce que les banques centrales continuent d’intervenir en cas de perturbation grave et subite du marché, je pense que leurs actions ne seront probablement plus illimitées. Lors d’un retour à la normale, je pense que les banques centrales seront plus tolérantes aux baisses et que cela se traduira par des mouvements prononcés rapides et des tendances plus durables au sein des marchés. Indirectement, cela signifie que le niveau de risque latent sur le marché est peut-être plus élevé qu’à tout autre moment depuis la GFC. Du point de vue de la construction de portefeuille, cela signifie que si la répartition d’actifs d’un portefeuille a été calibrée afin de cibler un niveau de risque précis il y a quelques années, il vaudrait probablement mieux la revoir, car ce portefeuille a nécessairement un risque plus élevé aujourd’hui en raison des événements récents. Incidemment, nous avons réduit l’exposition aux actifs plus risqués dans les portefeuilles discrétionnaires depuis la fin de 2021 et nous maintenons cette position en amorçant l’année 2023. Nos recommandations abondaient dans le même sens pour les mandats de gestion non-discrétionnaires.

Quand je me demande ce qui me donnerait envie d’adopter une position plus optimiste, je me dis encore une fois que le réflexe programmé de rééquilibrer en favorisant les actifs risqués chaque fois qu’ils baissaient de 5 % à 10 % n’est plus une option. À l’avenir, cela dépendra de la mesure dans laquelle le sentiment et le consensus se sont détériorés par rapport à ce qui se passe réellement. En fait, c’est ainsi que cela fonctionnait avant 2008.

L’augmentation persistante de l’inflation, qui a déclenché l’augmentation la plus rapide des taux d’intérêt à court terme en quatre décennies, a pris presque tout le monde – moi y compris – par surprise en 2022. Bien que l’inflation puisse demeurer au-dessus de la zone de confort des banques centrales pendant quelques années, à court terme, les préoccupations entourant l’inflation passeront de son niveau absolu à son éventail possible dans quelques années. Voici pourquoi.

Les banques centrales sont inébranlables dans leurs efforts de freiner les vecteurs de l’inflation causés par une demande globale robuste. Ils relèvent le coût d’emprunt pour inciter les agents à épargner et à retarder les décisions de consommation. En constatant les fortes baisses de prix des maisons neuves, des ventes de voitures et des biens durables, la mesure semble efficace. Il existe des variables qui stimulent l’inflation sur lesquelles les banques centrales n’ont que peu ou pas de contrôle et leurs impacts sont difficiles à prédire. D’abord, la population en âge de travailler va diminuer dans les pays développés. Cette variable est potentiellement inflationniste puisqu’il y aura moins de travailleurs et ceux qui entreront sur le marché du travail seront généralement moins productifs que ceux qui en sortent. Si les mouvements ouvriers réussissaient à s’organiser dans les pays en voie de développement comme ils l’ont fait chez nous il y a un siècle, la variable serait encore plus inflationniste, car cela aurait un impact sur le prix des importations dans les pays développés. Puis, les tensions géopolitiques persistantes qui indiquent probablement que la mondialisation a atteint son apogée. Ce qui signifie que des chaînes d’approvisionnement complexes devront être reprogrammées et de multiples redondances devront être prévues. Cette variable est également inflationniste, mais variera considérablement d’un secteur à l’autre. Finalement, il y a la transition vers une économie à faibles émissions de carbone qui entraîne des inadéquations entre l’offre et la demande d’énergie. Une autre variable inflationniste et très volatile selon le pays. Dans l’ensemble, je n’écarte pas la possibilité que les banques centrales parviennent à causer suffisamment de dégâts pour que la demande de biens et de services se normalise à un niveau qui se traduirait par une stabilisation de l’inflation autour de 2 % comme elle l’a fait au cours des 20 années qui ont précédé 2021, mais je pense que cela est devenu de plus en plus improbable.

Il faut se demander si tout cela se reflète dans les marchés. Fait intéressant, malgré ce portrait flou du côté de l’offre, les anticipations d’inflation au cours des cinq et dix prochaines années aux États-Unis sont essentiellement au même niveau qu’il y a deux ans. En fait, bien que l’inflation ait atteint des niveaux jamais vus depuis quarante ans, les titres indexés à l’inflation – Treasury Inflation Protected Securities (« TIPS ») – n’ont pas fait mieux que les obligations gouvernementales nominales au cours de la dernière année. Indirectement, le consensus indique que l’inflation à long terme chutera au niveau observé pendant la décennie prépandémie d’ici quelques années. Je pense que c’est optimiste et en tant que tel, les TIPS pourraient représenter une option peu dispendieuse et plus performante que les obligations nominales dans l’éventualité d’un désencrage des anticipations d’inflation à long terme. Nous cherchons des moyens concrets d’exprimer ce point de vue au bénéfice de nos clients, afin d’améliorer les rendements ajustés au risque.

Puisqu’on parle des obligations nominales, le rendement à maturité des obligations d’entreprises de haute qualité avec échéances avant 2028 dépasse désormais 5 %. Ce niveau est supérieur au niveau attendu des taux directeurs à la fin du cycle haussier actuel. Par conséquent, je pense qu’il existe un risque de perte minime pour ce segment. Il représente également une alternative intéressante aux liquidités avec l’avantage potentiel d’appréciation du principal ​​en cas de baisse des taux d’intérêt à court terme par rapport à ceux à moyen terme. Petite anecdote, il y a un an, il était presque impossible d’obtenir des rendements sans risque ou quasi sans risque supérieurs à 2 %, et impossible d’espérer des rendements supérieurs à 5 % sans faire le plein d’obligations à haut rendement et de titres d’émetteurs dans les marchés émergents. En fait, ce fut le cas pendant la majeure partie de la dernière décennie au cours de laquelle il n’y avait pas d’alternative aux actions. Eh bien, les alternatives coulent à flot de nos jours. Je suis moins enthousiasmé par les obligations à plus longue échéance, en particulier les obligations gouvernementales. Premièrement, la structure à terme des taux d’intérêt est inversée tant au Canada qu’aux États-Unis, ce qui signifie que le rendement à maturité des obligations à long terme est inférieur au rendement à maturité des obligations à court terme. Même si c’est souvent le cas dans les mois qui précèdent une récession, on constate que le niveau actuel d’inversion est proche d’un record absolu. Pour cette raison, les investisseurs ne semblent pas correctement rémunérés pour le risque lié à l’incertitude supplémentaire pour une échéance plus éloignée. De plus, comme la Réserve fédérale a commencé à réduire son bilan et n’achète plus d’obligations émises par le Conseil du Trésor, les futures émissions de dette publique américaine auront un acheteur de moins sur lequel compter. Considérant que l’achat d’obligations souveraines par les banques centrales a supprimé artificiellement les taux d’intérêt d’approximativement 1 %, la voie de moindre résistance pour les taux obligataires gouvernementaux à long terme devrait être à la hausse. En fin de compte, les bons du Trésor à long terme devraient rester de bons actifs défensifs dans le cas où la croissance ne sera pas au rendez-vous, mais ils performeront probablement mal dans presque tous les autres scénarios imaginables. Il est acceptable d’en détenir à des fins de contrôle de risque, mais nous continuons de recommander une petite pondération.

En ce qui concerne les actions, nous sommes à l’aise avec la gamme actuelle de gestionnaires employés et le positionnement général. Notre répertoire est bien diversifié géographiquement, stylistiquement, du point de vue de la capitalisation boursière et de l’approche générale. En amorçant 2023, nous maintenons des inclinaisons mineures vers la valeur et la faible volatilité, bien qu’à un dosage plus faible qu’il y a un trimestre. En ce qui concerne les attentes de performance à court terme, nous n’avons aucune conviction forte dans un sens ou dans l’autre. Toutefois, nous notons que la majorité des stratèges et pronostiqueurs de Wall Street pensent que le S&P 500 augmentera de 4 % à 12 % au cours des 12 prochains mois. Compte tenu du niveau du taux directeur et de celui des primes de risque des actions, c’est fort possible. Néanmoins, puisque nous prévoyons un écart-type annualisé de 12 % pour la catégorie d’actifs, il serait plus prudent d’affirmer qu’il y aura environ deux tiers des chances que les indices d’actions reviennent entre -5 % et +20 %. Nous soulignons que le consensus actuel est que les bénéfices du S&P 500 Index augmenteront de 4,4 % en 2023. On pourrait remettre cela en question si une récession avait lieu, car les bénéfices ont eu tendance à baisser de plus de 10 % lors des ralentissements économiques antérieurs.

En ce qui concerne les alternatives liquides, notre fonds de fonds de couverture est l’un des rares points positifs en valeur absolue en 2022. Ce fonds a accueilli son huitième gestionnaire le 1er janvier 2023. Avec l’arrivée de ce dernier, nous étendons notre couverture. Nous sommes à l’aise de maintenir une légère surpondération compte tenu de sa capacité éprouvée à générer des rendements positifs lors de perturbations du marché et aussi en raison des avantages de diversification qu’il offre dans un contexte où, à notre avis, la probabilité d’une reprise conjointe des actions et des obligations est mince.

Finalement, du côté des stratégies alternatives moins liquides, nous continuons de préconiser une approche qui vise l’atteinte et le maintien d’une cible de répartition au bout de plusieurs années suite à l’établissement d’un programme d’engagement. Comme chaque année, nous prévoyons proposer un éventail relativement restreint de fonds répartis au sein des principales catégories, soit le capital-actions des sociétés privées, le développement immobilier et l’infrastructure. Compte tenu de la hausse des taux, nous prévoyons porter une attention plus particulière à la dette privée avec une emphase distincte sur les stratégies ou secteurs où un déficit de capital se profile.

Dimitri Douaire, M. Sc., CFA
Chef des placements

[1] La performance de l’indice est rapportée sur la base du rendement total en devise locale, à moins d’avis contraire.

[2] Aux fins de cette discussion, je considère l’industrie de la blockchain et l’industrie de la cryptomonnaie comme distinctes. Mes commentaires concernent strictement l’industrie de la cryptomonnaie.

[3] Une bourse de bitcoins basée au Japon qui aurait traité plus de 70 % des transactions en bitcoins au début de 2014.

[4] William McCaskill, Doing Good Better: How Effective Altruism Can Help You Make a Difference, 2015.

[5] Firmes de négociations pour compte propre.

[6] Source: Opensecrets.org.

[7] Avocat de la faillite qui a supervisé la liquidation et le recouvrement des actifs d’Enron et Fruit of the Loom.

[8] https://www.patrimonica.com/toutes-les-nouvelles/le-grand-deconfinement

[9] Source : Eli Lilly

[10] Harvard School of Public Health

[11] Source : Bank of America Securities

[12] Notamment, Hans Bethe.

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